À titre de première directrice générale, Services bancaires, RBCx, Anne No Delaide veut donner aux entreprises en démarrage et en expansion les moyens d’agir à la jonction de la technologie et de la finance durable.
Dans le monde hyperactif et en pleine croissance des jeunes pousses technologiques, l’intégration de politiques et de pratiques relatives aux questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) est souvent associée à des entreprises plus matures ou, pire encore, envisagée après coup. Anne No Delaide s’inscrit à contre-courant. En tant que première directrice générale au sein de l’équipe des Services bancaires, RBCx, Anne s’engage activement auprès des entrepreneurs et des investisseurs du secteur de la technologie, convaincue que la finance durable est davantage qu’un impératif moral pour les jeunes entreprises : c’est aussi un important pilier d’un modèle d’entreprise sain.
Ces dernières années, les critères ESG ont pris l’avant-scène des discussions au sein de la haute direction. Pour simplifier, il s’agit de trois aspects clés sur lesquels les entreprises et les investisseurs s’appuient pour prendre des décisions, allant de l’approche d’une entreprise en matière d’émissions de carbone à ses politiques de confidentialité des données, de conduite éthique et de diversité au sein de son conseil d’administration et de sa direction. Cela dit, alors que l’on estime à 3 000 milliards de dollars les actifs investis dans l’investissement responsable au Canada et que, selon le dernier rapport annuel de RBC sur l’investissement responsable, 81 % des investisseurs canadiens ont adopté les principes ESG, le secteur de la technologie et de l’innovation a besoin d’aide pour les appliquer.
La question est abordée dans un rapport de 2022 auquel Anne a contribué en tant que membre du comité directeur de la Human Technology Foundation (HTF), établie en France. Le rapport « L’investissement responsable dans la technologie » souligne le rôle déterminant que les investisseurs peuvent jouer pour façonner l’avenir des pratiques ESG en fournissant un cadre ESG concret pour l’évaluation des entreprises technologiques.
Ce rapport répond à la demande des investisseurs de se doter de paramètres mieux définis pour évaluer les effets nuancés des entreprises technologiques. Il est le fruit d’une collaboration entre des parties prenantes européennes et nord-américaines.
Dans cet entretien, Anne nous fait part de son point de vue sur l’état actuel des critères ESG au Canada, sur l’importance d’un cadre ESG pour les entreprises technologiques canadiennes et sur le rôle que peut jouer RBCx pour aider les entreprises émergentes à établir les fondements d’une réussite durable.
Vous travaillez à RBC depuis plus de 20 ans. Comment en êtes-vous venue à vous concentrer sur les critères ESG, en particulier dans le secteur de la technologie ?
Chacun des volets me touche de près, et j’ai l’impression d’avoir été formée en la matière pratiquement depuis le début. J’ai grandi dans une ferme en France, de sorte que l’aspect environnemental de la protection des terres est très important. Sur le plan social, mes parents étaient également entrepreneurs et très impliqués dans plusieurs organisations, ce qui m’a enseigné l’importance de faire partie de la communauté. Cette vision m’a accompagnée tout au long de ma carrière, surtout au début, lorsque j’ai siégé au conseil d’administration de nombreux organismes sans but lucratif et que j’ai commencé à travailler avec des clients au sein des services commerciaux. C’est là que j’ai pris conscience que j’étais toujours la seule femme à la table. Je pouvais à la fois voir et ressentir les préjugés sexistes dans nos interactions, ce qui était extrêmement décourageant. J’ai eu du mal à surmonter cette expérience et, depuis, j’ai toujours cherché à soutenir les autres femmes dans le milieu professionnel et dans le secteur, et à favoriser l’inclusion et la bonne gouvernance pour ne pas négliger d’excellentes idées et des contributions précieuses à la prochaine innovation décisive ou à la résolution d’un problème.
Cet engagement personnel et cette passion se sont étendus à mon travail avec les clients. Alors que nous entendons parler de nombreuses grandes entreprises qui intègrent les critères ESG dans leurs stratégies commerciales, ce n’est pas toujours la première – ni même la dernière – chose à laquelle pense une jeune entreprise de plus petite taille. En fait, lorsque j’ai rejoint RBCx, en 2021, pour travailler plus étroitement avec les clients du secteur de la technologie, j’ai réalisé que c’était l’occasion rêvée pour discuter des questions ESG avec les entreprises du secteur de la technologie, parce qu’en les aidant à comprendre en quoi cela consiste, et en travaillant avec elles à la mise en place de ce cadre, on peut exercer une influence considérable sur leur rentabilité à long terme, leur raison d’être, leur culture et la valeur de leur marque.
Pourquoi les critères ESG n’ont-ils pas été plus largement adoptés par l’écosystème de la technologie et de l’innovation ?
Tout d’abord, le secteur privé a encore beaucoup à faire pour définir un processus complet et réglementé d’évaluation des critères ESG. L’attention accrue portée à ces critères au Canada est assez récente. S’il n’est peut-être pas nécessaire d’adopter les mêmes approches en matière de réglementation et d’information qu’en Europe, où est basée la HTF, ces approches ne sont actuellement pas uniformisées au Canada et, par conséquent, la démarche varie d’une entreprise à l’autre. Bien que des acteurs clés tels que la Banque de développement du Canada (BDC) et la Corporation de développement des investissements du Canada (CDEV) participent à l’élaboration d’une approche, son adoption demeure lente. Les parties prenantes des secteurs public et privé doivent collaborer davantage à l’établissement d’un cadre ESG pour le Canada.
Deuxièmement, les critères ESG sont considérés comme le propre de secteurs plus traditionnels, tels que les banques et l’énergie – les cadres et les rapports actuels ne tiennent pas compte des particularités du secteur de la technologie. Les entreprises technologiques ont tendance à penser que les rapports ESG sont l’apanage des grandes entreprises comme RBC, et même pour RBC, nous évaluons et améliorons constamment notre approche. Les clients de RBCx, dont bon nombre ont atteint un degré de maturité moyen, en sont à des stades différents de compréhension et de mise en œuvre des pratiques ESG. C’est une expérience d’apprentissage pour nous, tout comme pour eux – mais RBCx a l’avantage de tirer parti des ressources, de la formation et des partenariats établis de RBC pour soutenir ses clients.
D’une manière générale, les jeunes entreprises – en particulier dans le secteur de la technologie et de l’innovation – ont besoin d’être correctement outillées. Dans l’écosystème de la technologie et de l’innovation, chaque partie prenante pourrait être plus déterminée à collaborer et à partager ses connaissances avec d’autres entreprises et autorités de réglementation afin d’aider les jeunes entreprises à simplifier la mise en œuvre des solutions ESG, en veillant à ce que le paysage commercial canadien puisse avoir un avantage concurrentiel et engendrer des retombées positives grâce à l’atteinte des objectifs ESG. C’est pourquoi le rapport de la HTF est si important, car il offre les outils nécessaires pour aider les investisseurs à évaluer leurs portefeuilles et oriente les fondateurs de jeunes pousses technologiques vers les questions à poser.
Pourquoi les fondateurs d’entreprises technologiques en démarrage n’intègrent-ils pas les critères ESG dès le départ ?
En bref, les jeunes entreprises disposent de ressources limitées. Au cours des phases de croissance, le fondateur consacre la majeure partie de son temps à prouver la valeur de son concept. Du côté des investisseurs, les sociétés de capital-risque, qui constituent une source de financement essentielle pour ces jeunes entreprises, mesurent les critères ESG différemment les unes des autres, même si ces critères sont de plus en plus souvent pris en compte. Un client nous a dit qu’il avait besoin d’une raison pour faire des critères ESG une préoccupation commerciale quotidienne, plutôt que d’en reconnaître tout simplement la valeur intrinsèque. Même lorsque les clients sont incités à se préoccuper des questions ESG, leurs ressources sont dispersées, de sorte que la mise en œuvre est disparate et incohérente. D’après ce que RBCx a constaté chez ses clients, ceux-ci ont besoin de conseils spécialisés et de solutions adaptées à leur segment et à leur degré de maturité pour mettre en œuvre les pratiques ESG.
Je pense également qu’il s’agit d’une question culturelle. Les entrepreneurs veulent être des perturbateurs de marché dans leur secteur d’activité. Ils veulent révolutionner le monde, mais ne réfléchissent pas suffisamment à la manière dont ils vont le faire – ni aux implications. S’ils veulent aligner leur objectif sur les critères ESG, nous devons les aider à acquérir ces réflexes et à évaluer les risques liés aux critères ESG dès le départ. L’intégration des facteurs ESG dès le début du processus décisionnel d’une entreprise permet d’orienter les ressources vers la croissance plutôt que de limiter les dégâts en cas de conséquences négatives ou de manque de surveillance.
Quels sont les principaux risques pour les entrepreneurs et les fondateurs qui ne donnent pas la priorité aux critères ESG ?
En général, ils risquent de se voir imposer des pénalités pour non-respect de certaines exigences légales ou réglementaires (par exemple, le Code canadien du travail, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999)), des pertes financières dues à une augmentation des dépenses encourues et une perte de revenus. Ces risques ont un effet cyclique sur l’entreprise. Par exemple, sur le plan environnemental, cela pourrait se traduire par des répercussions sur la chaîne logistique ou par des pertes dues au non-respect d’exigences imposées par le gouvernement. D’un point de vue social, il peut y avoir une réduction de la productivité et des ventes en raison de l’absence de normes de santé et de sécurité. Au chapitre de la gouvernance, l’absence d’une protection adéquate des données peut entraîner la perte ou le vol de données sur les clients.
Si les critères ESG visent à produire un résultat positif, ils doivent aussi permettre de maintenir une réputation positive et d’atténuer les risques. Les entreprises ont des comptes à rendre à leurs parties prenantes, notamment les consommateurs, les investisseurs et le grand public. La dernière chose que souhaiterait RBCx, c’est que ses clients et partenaires soient confrontés à des problèmes parce qu’ils n’ont pas mis en place une stratégie ESG bien définie.
De manière générale, quels sont les domaines que les jeunes entreprises pourraient envisager pour mettre en place des politiques positives en matière de critères ESG ?
Le rapport de la HTF en parle plus en détail pour l’industrie technologique, et c’est un bon début pour amener les clients à se poser les bonnes questions. Mais prenons d’abord l’aspect environnemental. Pour chaque entreprise, il existe tout un réseau destiné à soutenir le développement des produits, ou même les services administratifs. Trop souvent, les jeunes pousses technologiques et les sociétés de capital-risque ne réfléchissent pas à leur stratégie de carboneutralité, car aux yeux de beaucoup d’entre elles, l’activité principale – le développement logiciel – ne présente pas de risque important. Comme les logiciels sont intangibles, ils n’ont pas de répercussions directes sur le climat. Mais ces entreprises oublient qu’elles doivent aussi tenir compte de leurs fournisseurs, et réfléchir à la manière dont elles évaluent l’impact de ces derniers sur le climat.
En outre, les femmes sont largement sous-représentées dans le secteur technologique canadien. En ce moment, le volet environnemental des critères ESG est sous les feux de la rampe, si bien que nous ne pensons pas autant à l’incidence sur les aspects sociaux et de gouvernance. Par exemple, les entreprises technologiques ne peuvent que tirer profit de la diversité des points de vue. Elles doivent donc donner le ton en veillant à promouvoir la diversité au sein de leur direction et de leur conseil d’administration.
En interne, à RBCx, nous combinons notre expertise technologique et nos ressources en tant que grande institution financière pour travailler à une approche plus calculée en conseillant à nos clients de réfléchir à leur stratégie ESG. Ces questions font l’objet d’une forte demande de la part de nos clients, et nous voulons y répondre en les intégrant à leur stratégie de croissance.
De quelles autres manières innovantes avez-vous vu l’intégration des critères ESG du côté des investisseurs ?
Étant donné que les sociétés de capital-risque se concentrent généralement sur les technologies de rupture et les produits à évolution rapide, elles ont un rôle à jouer pour souligner l’importance des critères ESG. En 2022, seuls 5 % des sociétés de capital-risque prenaient activement en compte les paramètres ESG. Au sein de ces 5 %, l’intérêt pour les indicateurs environnementaux l’emporte largement sur les paramètres sociaux et de gouvernance – et la croissance rapide a tendance à faire oublier ces deux aspects. Mais certaines sociétés de capital-risque cherchent à changer les choses.
J’ai discuté avec une société de capital-risque qui se concentre sur les solutions technologiques pour une population vieillissante et qui a pour mandat de rembourser l’investissement de ses commanditaires si elle ne respecte pas ses engagements relativement aux critères ESG. Cette volonté et cette acceptation de ne pas être rétribuée constituent un engagement impressionnant de sa part, et je pense que nous verrons cela de plus en plus souvent à l’avenir.
Mais ces critères ne sont pas toujours au premier plan des préoccupations des investisseurs. Pourquoi ?
En général, je pense que c’est parce que les investisseurs savent qu’ils obtiendront un rendement du capital investi, que des critères ESG rigoureux soient en place ou non. L’argent est roi, n’est-ce pas ? Et comme je l’ai déjà mentionné, les sociétés de capital-risque peuvent être limitées dans leur capacité. Toutefois, lorsque les entreprises ont mis en place des stratégies ESG, elles obtiennent généralement de meilleurs rendements.
L’approche des petits pas est pour moi une valeur sûre. Si les investisseurs subissent trop de pression pour changer leurs méthodes de travail actuelles, cela risque de les rendre moins enclins à accepter les conseils d’institutions telles que RBCx en matière de critères ESG. Il faut que les investisseurs soient conscients des conséquences commerciales, afin qu’ils puissent eux aussi jouer un rôle en incitant les entreprises à mettre en œuvre les critères ESG.
Cette entrevue a été modifiée pour des raisons de longueur et de clarté.
RBCx appuie certaines des sociétés novatrices et génératrices d’idées les plus audacieuses du Canada. Qu’il s’agisse de nos entreprises en démarrage, de nos investissements dans des sociétés partenaires ou de nos partenariats avec des sociétés novatrices de capital-risque à l’échelle du pays, nous faisons en sorte que vous puissiez tirer un avantage concurrentiel de notre expérience, de nos réseaux et de notre capital afin de susciter des changements durables. Parlez dès maintenant à un conseiller technologique de RBCx pour en savoir plus sur la façon dont nous pouvons aider votre entreprise à croître.