D’un bout à l’autre du Canada, les entrepreneurs s’efforcent de concrétiser leurs rêves. Ownr s’intéresse particulièrement aux propriétaires de petites entreprises. Shane Murphy, président et chef de la direction d’Ownr, explique comment sa plateforme est devenue un outil essentiel pour un nombre croissant de ces propriétaires. Au passage, il décrit les tendances actuelles du monde de l’entrepreneuriat.
Le mot entrepreneuriat évoque souvent une jeune pousse du secteur des technologies dirigée par d’ex-étudiants. C’est faire peu de cas de la grande diversité des propriétaires de petites entreprises canadiens. Du comptoir de mini-quiches local à la boutique en ligne proposant des chandelles artisanales, chaque entreprise mérite de gravir les échelons. Seulement, l’enthousiasme des débuts peut faire oublier qu’il faudra aussi s’occuper de nombreuses tâches administratives.
Au Canada, les propriétaires d’une petite entreprise qui font cavalier seul, sans associés ni employés – les « entrepreneurs solos » – sont de plus en plus nombreux. L’activité d’une bonne partie d’entre eux vient en fait compléter le revenu qu’ils tirent d’un emploi à temps plein. Leurs maigres ressources ne leur permettent pas de mettre sur pied une entreprise à proprement parler, encore moins de la développer. Shane Murphy, président et chef de la direction d’Ownr, a vu là une excellente occasion d’intervenir auprès de cette clientèle, en aidant les entrepreneurs en herbe à se constituer en société ou, plus simplement, à s’enregistrer.
Pour prendre régulièrement le pouls de l’entrepreneuriat canadien, Ownr mène chaque année un sondage auprès des propriétaires de petites entreprises. C’est justement ce qu’elle vient de faire. Qu’il s’agisse de l’attitude des répondants face aux incertitudes économiques ou de l’utilisation qu’ils font des outils et ressources mis à leur disposition, le sondage montre comment les petites entreprises s’adaptent – et permet du même coup à Ownr d’affiner constamment son offre de services.
Le personnel d’Ownr est passé de 3 personnes à 75 employés. Jusqu’ici, elle a aidé plus de 130 000 entreprises canadiennes dont les fondateurs avaient besoin du coup de pouce initial. Ownr doit sa croissance au fait qu’elle a su aplanir la voie pour ces entreprises en devenir. Shane Murphy raconte comment les choses se sont passées.
Vous êtes avocat et avez vous-même créé une entreprise. Cela a dû aider Ownr à mieux voir ce dont les entrepreneurs ont besoin ?
De fait, c’est mon expérience d’avocat-conseil spécialisé en droit commercial et chargé d’aider les petites entreprises qui est à l’origine des activités actuelles d’Ownr. En tant qu’avocat, j’appartenais à un secteur qui subissait alors des mutations très rapides. Je crois que beaucoup d’entreprises doivent leur existence au milieu d’origine du fondateur – les services juridiques, dans mon cas. En lançant la mienne, j’ai dû chercher quels services pouvaient aider les entrepreneurs. Cela a ouvert de nouvelles perspectives et conduit Ownr à concevoir de nouveaux produits tout en étoffant son offre de services juridiques. Bien qu’ayant débuté dans le droit, je me vois plutôt comme un entrepreneur désireux d’aider ses pairs à réussir.
Traditionnellement, l’enregistrement en tant qu’entreprise et la constitution en société impliquent de la paperasse qu’il faut généralement préparer avec un juriste, ce qui diminue d’autant les précieuses ressources financières. L’offre clé d’Ownr consiste à régler ces formalités en ligne pour le bénéfice des petites entreprises canadiennes. Nous nous occupons de la mise sur pied de l’entreprise, ce qui comprend notamment la production de tous les documents requis aux fins juridiques ou de conformité. Cela fait, notre plateforme numérique permet aux intéressés de s’acquitter de leurs obligations pendant toute la durée de vie de leur entreprise. Elle les aide aussi à maintenir le niveau de conformité voulu, ce qu’une entreprise en expansion néglige parfois de faire.
À quelles difficultés les entrepreneurs canadiens continuent-ils de se heurter ?
À chaque étape son lot de défis ! Néanmoins, j’en reviens toujours à la phase initiale car, sur le plan mental, c’est la plus importante. Il faut réaliser en effet que se lancer en affaires n’est pas si risqué qu’on pourrait le croire. Jusqu’à quel point faut-il creuser l’idée avant de créer son entreprise ? Les avis sont partagés. Certains foncent d’abord et affinent ensuite, d’autres attendent d’avoir trouvé la formule parfaite. Personnellement, je ne crois pas que la bonne formule se trouve tout de suite. Il s’agit donc d’aider les entrepreneurs qui ont une idée suffisamment intéressante pour pouvoir décoller ; on cherchera ensuite des possibilités d’amélioration.
Compte tenu de la hausse du coût de la vie et des incertitudes économiques, ceux qui se lancent aujourd’hui en affaires cherchent surtout à évaluer le rapport coût-bénéfice. D’après notre dernier sondage, la perspective d’un revenu d’appoint constitue la motivation de 25 % de ceux dont l’entreprise constituait au départ une activité complémentaire. En donnant accès à des services abordables, des plateformes comme Ownr contribuent à réduire le risque et rendent les entrepreneurs plus confiants.
Une fois le développement des activités bien amorcé, le problème classique consiste à monter une équipe en conséquence. L’objectif de 65 % des entrepreneurs solos qui se dotent d’un personnel est de faire croître leur entreprise. Je trouve passionnant ce qu’un entrepreneur est capable de faire tout seul, mais s’il veut étendre son champ d’action, il lui faut une équipe. Il a besoin de bons éléments et devra y mettre le prix. La rémunération mise à part, on ne peut forcer les gens à croire – les entrepreneurs ont besoin d’employés qui se fieront à leur jugement lors des changements de cap ou de la recherche de nouveaux créneaux. Fondamentalement, le recrutement d’éléments de valeur est davantage un problème humain qu’une question de coûts. Si vous disposez du bon personnel, vous trouverez toujours le mode de rémunération optimal, en combinant prise de participation et salaire.
Aider les entrepreneurs à trouver l’équilibre entre trésorerie et tension inflationniste demeurera l’une de nos priorités. Il n’y a pas de solution facile, mais les entrepreneurs sont gens optimistes : notre dernier sondage montre que 50 % d’entre eux se disent plus confiants dans leurs plans d’affaires qu’il y a six mois.
L’éducation formelle n’est pas à négliger, mais un bon nombre d’entrepreneurs misent sur d’autres formules. Quelle place les différentes générations d’entrepreneurs accordent-elles à la formation ?
Un entrepreneur doit être réaliste : qu’il s’agisse d’exploiter son entreprise ou de la faire croître, aucun cours n’existe qui fournirait toutes les réponses. De fait, à peine la moitié des propriétaires de petite entreprise ont suivi une formation en bonne et due forme en gestion. L’éducation formelle n’est qu’un outil parmi tous ceux dont dispose l’entrepreneur. Il peut d’ailleurs se révéler utile à plus d’un titre. Ainsi, un programme de maîtrise en administration des affaires et un titre d’analyste financier agréé donnent accès à un réseau de personnes aux intérêts communs – ce sera un atout inestimable quand l’entreprise se développera.
Par ailleurs, ce n’est pas moi qui déconseillerais de suivre un cours reposant sur des vidéos en ligne. Si quelqu’un y trouve son compte, c’est à conserver absolument. Bref, programmes institutionnels ou cours en ligne, peu importe, il faut tout aborder l’esprit ouvert, faire preuve de sens critique, avoir du jugement et tisser des liens. Plus de la moitié des propriétaires de petites entreprises que nous avons sondés ont tiré parti de ressources offertes sur Internet – cours ou ateliers en ligne (57,6 %), vidéos et blogues YouTube (55,7 %).
C’est une question d’équilibre. Il faut le voir dans la perspective du talent : certains éléments de valeur sont bardés de diplômes, d’autres se sont formés sur le tas. La combinaison peut donner une équipe diversifiée dont les points de vue et le savoir-faire variés contribueront au succès de l’entreprise.
Quand le temps et l’argent font défaut, comment évaluer les outils et ressources dans lesquels il faudrait investir ?
Je le disais il y a un instant : il est essentiel de tisser des liens. C’est particulièrement vrai pour les entrepreneurs solos – s’ils veulent survivre, ils ne doivent pas agir totalement seuls ni s’inquiéter outre mesure de révéler leurs secrets à des concurrents potentiels. Faire état ouvertement de son expérience peut être indispensable si l’on veut trouver des outils et ressources adaptés à son secteur d’activité et au stade de développement où en est l’entreprise. La technologie fait de plus en plus d’adeptes : les propriétaires de petites entreprises sont 69,4 % à y recourir pour mener leurs activités. Cependant, certaines plateformes ne sont pas forcément aussi utiles à une grande entreprise, aussi faut-il s’informer de ce que font les pairs et poser les bonnes questions sur l’intérêt réel de tel ou tel outil.
Cela dit, toute entreprise doit relever les mêmes défis : trouver des capitaux, attirer la clientèle et remplir ses obligations en matière de conformité. Mis à part les plateformes comme Ownr, chacun doit se doter de deux outils en mode libre-service : un bon logiciel comptable et un système de gestion de la clientèle. Tout comme Ownr permet de réduire les coûts juridiques, le propriétaire d’une petite entreprise peut diminuer les dépenses liées à la comptabilité et au service à la clientèle. C’est un équilibre à trouver entre le coût des heures de travail et le fonds de roulement.
Quels sont les processus administratifs auxquels les entrepreneurs n’accordent pas toujours toute l’attention voulue ?
Pour une petite entreprise en démarrage, l’administration du personnel peut être ardue. Avec leurs premiers employés, beaucoup ont du mal à se plier aux normes entourant la rémunération ou au droit du travail. Qu’il s’agisse de la paie ou des retenues à la source, c’est aberrant à quel point certains entrepreneurs se fourvoient, préoccupés qu’ils sont par le développement de leur affaire.
Il y a aussi la question des assurances. L’offre Ownr repose sur un dialogue franc avec nos utilisateurs. Nous voulons savoir ce qui les intéresserait et quelles questions ils se posent : « Comment lancer mon entreprise ? Comment m’enregistrer ou me constituer en société ? À quelle banque m’adresser ? ». Une fois qu’Ownr a réglé ces problèmes, nous passons à la question qui vient tout juste après : « Dois-je m’assurer ? ». Nous ne voulions pas y répondre en dirigeant les entrepreneurs vers des compagnies d’assurance ; ce devait être l’un des volets de notre offre générale. Nous avons donc lancé l’assurance Ownr. Depuis, de nombreux utilisateurs de notre plateforme d’enregistrement d’entreprise y ont souscrit. Encore un souci de moins pour eux !
Un entrepreneur peut regretter par la suite d’être passé outre à telle ou telle formalité. Bien des propriétaires de petites entreprises se disent « Je suis trop petit pour me constituer en société » et ne cherchent pas à savoir si ce statut pourrait leur convenir. Or il influe souvent sur les coûts d’opportunité. Exemple : la constitution en société peut permettre de faire des économies d’impôt si la croissance est telle qu’une partie des revenus peut être mobilisée pour étendre les activités de l’entreprise. Par ailleurs, la constitution en société permet de séparer vos actifs personnels de ceux de l’entreprise. Si l’affaire tourne mal, vos actifs ne seront pas menacés. Une société n’en doit pas moins veiller à la conformité : l’État peut dissoudre purement et simplement celles qui ne sont pas en règle, ce qui n’est jamais bon pour l’écosystème entrepreneurial.
RBC et Ownr – en tant qu’entreprise RBCx – ont fait l’acquisition de Founded Technologies. Aujourd’hui, par quel moyen parvenez-vous à affiner vos offres, tant auprès de votre clientèle qu’au sein de la Banque ?
Ownr a été conçue comme plateforme maison au sein de RBCx, mais nous devons notre infrastructure technologique actuelle à Founded Technologies (en anglais seulement), dont je fus le fondateur. J’avais vu comment l’infrastructure fonctionnait à l’extérieur de la Banque, sans les ressources de cette dernière ; les avantages offerts par RBC et RBCx étaient clairs.
Quand Founded Technologies a été achetée en 2020, nous avons pu tirer profit du savoir et des ressources de RBC pour cibler les propriétaires de petites entreprises et accroître ainsi notre part de marché. Notre croissance s’est accélérée et il nous a été possible de mener des campagnes de manière plus éclairée, sur la foi des données. Surtout, l’intégration à RBC nous permet de diriger les entrepreneurs vers les services bancaires de cette dernière, grâce à la plateforme qui leur a déjà servi à se constituer en société. Ils peuvent donc ouvrir un compte bancaire d’entreprise sans sortir de notre système, ce qui leur donne droit à une réduction maximale de 300 $ sur les frais d’enregistrement.
Comment voyez-vous l’avenir de l’entrepreneuriat canadien ? Quelles sont les tendances actuelles ?
Selon moi, la grande tendance, c’est l’essor des entrepreneurs solos. Les gens savent maintenant qu’ils peuvent se lancer en affaires sans une équipe complète ni des prestataires de services externes. Ils peuvent tout faire eux-mêmes à partir de leur téléphone, grâce à une infrastructure technologique savamment pilotée, raccordée à toutes les entreprises de traitement de paiements, aux sites de commerce en ligne, aux outils comptables et autres applications. L’entrepreneur solo est ainsi branché à toutes les ressources pertinentes, qu’il peut articuler de manière novatrice les unes aux autres. On peut prévoir que le statut d’entrepreneur solo va devenir de plus en plus sophistiqué. Nous verrons fort probablement des entreprises réduites à une seule personne qui se seront suffisamment développées pour pouvoir se vendre à des prix mirobolants.
Une autre tendance se dégage : on ne perçoit plus l’entrepreneuriat de la même façon. Nous entrons dans une ère où la profession d’entrepreneur n’aura rien à envier à celles, traditionnellement plus considérées, d’avocat ou de médecin. Elle va en effet exiger des compétences toujours plus pointues, en plus d’un niveau élevé d’ambition et de créativité. On ne sera plus entrepreneur parce qu’on n’a pas réussi à faire mieux – on le sera parce qu’on a le courage et l’ambition de construire soi-même quelque chose qui traduit une vision toute personnelle.