De la sous-représentation chronique au sein des hautes directions aux barrières systémiques à l’accès au capital-risque, voici comment les professionnels queers peuvent surmonter les défis dans le secteur technologique.
Tim Cook, chef de la direction d’Apple. Sam Altman, chef de la direction d’OpenAI. Peter Thiel, cofondateur de PayPal. Martine Rothblatt, cofondatrice de SiriusXM. Chris Hughes, cofondateur de Facebook. Arlan Hamilton, cheffe de la direction de Backstage Capital (et seule femme queer noire à avoir créé une société de capital-risque à partir de zéro). C’est un fait avéré que certaines des figures de proue de la technologie sont aussi des personnes qui s’identifient comme étant 2SLGBTQIA+*.
Et ce n’est peut-être pas si surprenant que ça. Après tout, ce secteur est reconnu depuis longtemps pour son innovation, sa remise en question du statu quo et son approche avant-gardiste.
De plus, la communauté queer entretient une relation unique et symbiotique avec l’univers techno, plus particulièrement avec Internet, depuis le début. En effet, aux balbutiements du Web, les forums en ligne et les salles de clavardage offraient aux personnes queers un espace rare et crucial pour communiquer entre elles, se raconter leurs expériences et se soutenir mutuellement. L’anonymat fourni par Internet était particulièrement vital à une époque où l’on stigmatisait largement le fait d’être ouvertement queer. Dans les années 1980 et au début des années 1990, pendant l’épidémie de SIDA, Internet a été une véritable bouée de sauvetage, permettant la diffusion d’information essentielle sur la maladie et la création d’un réseau de soutien mondial pour les personnes touchées.
Plus récemment, les médias sociaux et les applications de rencontres s’adressant spécifiquement aux personnes 2SLGBTQIA+ (Grindr et HER, pour ne nommer que celles-là) ont révolutionné la façon dont elles entrent en contact, se fréquentent et forment des communautés, favorisant un sentiment d’appartenance et une visibilité au-delà des frontières géographiques.
Et pourtant, malgré ce lien historique et ces attributs progressistes, les personnes 2SLGBTQIA+ sont confrontées à des défis persistants au sein de l’écosystème technologique, allant de la discrimination lors d’entretiens d’embauche à la sous-représentation dans les postes de direction, en passant par la difficulté d’obtenir du financement pour les entreprises en démarrage.
Une récente enquête de QueerTech, un organisme sans but lucratif montréalais avec lequel RBCx collabore, révèle que 40 % des travailleurs du secteur canadien de la technologie estiment que les employés 2SLGBTQIA+ sont toujours traités avec respect, et seulement 14 % croient que le fait d’appartenir à la communauté constitue un avantage pour l’obtention d’un emploi. Le rapport cite une étude réalisée en 2016 par Telus, dans laquelle 57 % des répondants 2SLGBTQIA+ ont indiqué ne pas dévoiler complètement ouvertement leur identité au travail, et plus d’un cinquième ont déclaré craindre un environnement de travail hostile.
RBCx a discuté avec trois leaders s’identifiant comme queers et leur a demandé de parler des obstacles auxquels se heurtent les professionnels et entrepreneurs 2SLGBTQIA+ du secteur canadien de la technologie. Naoufel Testaouni est chef de la direction et cofondateur de QueerTech. Marlon Thompson est investisseur providentiel, fondateur de jeunes pousses et chef de l’expérience de Spring, un fonds de capital-risque axé sur l’investissement d’impact à un stade précoce. Theresa Rowsell est investisseuse ainsi que fondatrice et directrice de Rowsell Inc., une société qui offre, à des organisations définies par leur raison d’être, de l’accompagnement destiné aux cadres dirigeants et des services de chef de l’exploitation à temps partiel. La table ronde était dirigée par Arron Lin, vice-président adjoint, Gestion relationnelle, RBCx, en partenariat avec le cabinet d’avocats Fasken.
Les participants ont donné leur point de vue sur diverses questions, notamment les défis uniques auxquels sont confrontées les personnes 2SLGBTQIA+ ayant fondé une entreprise, les changements nécessaires pour que le secteur canadien de la technologie accueille pleinement ses membres queers et les mesures simples que les alliés peuvent prendre pour favoriser l’inclusion et démontrer leur appui.
La lutte pour la représentation
L’un des enjeux les plus pressants pour les personnes 2SLGBTQIA+ dans le domaine est leur sous-représentation dans les postes de cadres et de direction. En dépit des progrès réalisés en matière d’inclusion — et des programmes de diversité, d’équité et d’inclusion mis en œuvre au sein des organisations —, les personnes queers occupent moins de 1 % des postes des échelons supérieurs des sociétés technologiques. Or, cela limite non seulement les perspectives des équipes de direction, mais aussi l’élaboration de politiques qui encouragent efficacement l’inclusion.
Cette sous-représentation s’explique par plusieurs facteurs. Premièrement, il y a la culture du milieu de travail. De nombreux professionnels 2SLGBTQIA+ évoluent dans des environnements où ils ne se sentent pas à l’aise de dévoiler ouvertement leur identité. Selon l’enquête de Queertech, les répondants non queers étaient beaucoup plus susceptibles de se sentir à l’aise d’être eux-mêmes au travail (89 %) comparativement aux répondants queers (70 %). De plus, le harcèlement au travail est considéré comme un problème important, plus particulièrement celui lié à l’orientation sexuelle (pour près de 35 % des répondants).
Deuxièmement, l’absence de modèles 2SLGBTQIA+ en technologie (à l’exception des titans susmentionnés) perpétue ce cycle. N’ayant aucun leader visible de qui s’inspirer, les professionnels 2SLGBTQIA+ peuvent avoir de la difficulté à s’imaginer dans des postes de cadres, ce qui fait en sorte que la diversité au sommet demeure restreinte. Cette situation nuit également à la relève 2SLGBTQIA+, moins de personnes étant motivées à démarrer des entreprises technologiques ou à recevoir du mentorat à cette fin. En conséquence, le nombre jeunes pousses dirigées par des personnes queers diminuent, et des projets innovants qui auraient pu apporter des perspectives différentes sur le marché ne voient jamais le jour.
« L’apport de nouvelles perspectives diversifie l’énergie créative entourant les projets et les technologies en développement, affirme M. Thompson. Cela améliore vos chances de créer quelque chose de différent — et surtout, de performant. »
« Nous devons résoudre le problème à tous les niveaux pour que les personnes queers puissent entrer et rester dans le secteur. Lorsqu’elles auront accès à des postes de direction et pourront bâtir leur expertise, nous commencerons à voir les chiffres augmenter du côté des investissements et de la création d’entreprises. »
Testaouni estime lui aussi que la diversité est un moteur d’innovation, mais encore faut-il que les personnes 2SLGBTQIA+ soient embauchées. « Près d’une personne queer sur deux est encore victime d’une certaine forme d’intimidation dans le processus de recrutement, fait-il remarquer. Nous devons donc résoudre le problème à tous les niveaux pour que les personnes queers puissent entrer et rester dans le secteur. Lorsqu’elles auront accès à des postes de cadres et de direction grâce à divers programmes s’adressant spécifiquement à elles et pourront bâtir leur expertise, nous commencerons à voir les chiffres augmenter du côté des investissements et de la création d’entreprises.
Les obstacles au financement pour les entrepreneurs 2SLGBTQIA+
Pour les fondateurs d’entreprise et entrepreneurs 2SLGBTQIA+, la recherche de capital s’accompagne de son lot de défis. Tout comme pour les femmes, les préjugés qui persistent au sein de la communauté du capital-risque peuvent entraîner un certain scepticisme quant à la viabilité des entreprises dirigées par des personnes queers. Ces préjugés, souvent inconscients, se manifestent parfois dans la réticence des investisseurs à financer les entreprises qui n’entrent pas dans le moule traditionnel hétéronormatif.
De surcroît, le réseautage joue un rôle central dans l’écosystème des entreprises en démarrage, et les entrepreneurs 2SLGBTQIA+ peuvent se retrouver exclus des réseaux clés. Ces réseaux sont souvent dominés par des structures sociales cisgenres et hétérosexuelles, dans lesquels les personnes queers peuvent se sentir malvenues ou non reconnues à leur juste valeur. Cette exclusion limite l’accès à de potentiels investisseurs, mentors et contacts dans le secteur, autant de ressources essentielles à la croissance d’une entreprise.
Un rapport de 2022 de la CGLCC révèle que moins de 1 % du capital-risque va à des entrepreneurs de la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle, transgenre ou queer+, et ce, malgré le fait que plus de 10 % des partenaires de capital-risque s’identifient comme étant 2SLGBTQIA+. Selon la Canadian Venture Capital and Private Equity Association (CVCA), cette représentation est supérieure d’environ 20 % à celle qu’on observe en moyenne au niveau de la direction dans le secteur financier. En outre, les personnes 2SLGBTQIA+ créent 36 % plus d’emplois, réalisent 44 % plus de sorties et obtiennent 114 % plus de brevets que leurs homologues non queers.
D’après Mme Rowsell, le ralentissement de l’activité de capital-risque ces dernières années n’a fait qu’empirer les choses. À mesure que le capital se raréfie, les personnes queers ayant fondé une entreprise sont touchées plus durement et doivent faire preuve d’encore plus de diligence pour obtenir du financement. « Dans ce marché, il se peut que vous ayez à travailler quatre fois plus fort et à parler à quatre fois plus de gens pour obtenir un peu de financement, explique-t-elle. Il faut se préparer à un marathon et mettre les bouchées doubles à cause des préjugés qui ont la vie dure. »
« Les personnes queers ayant fondé une entreprise ne seront peut-être pas les premières à recevoir du financement par capital-risque, mais elles seront les premières à faire preuve d’innovation et de débrouillardise. »
Selon M. Thompson, cet écueil supplémentaire fait en sorte que les entrepreneurs 2SLGBTQIA+ redoublent d’ingéniosité et de résilience. « Quand on doit faire face à l’épuisement du capital, c’est une belle occasion d’être créatif et de mettre en place des solutions durables, dit-il. « Les personnes queers ayant fondé une entreprise ne seront peut-être pas les premières à recevoir du financement par capital-risque, mais elles seront probablement les premières à faire preuve d’innovation et de débrouillardise. »
La voie à suivre : favoriser l’inclusion dans le secteur technologie
Si l’on veut que les choses changent, il faudra que toutes les parties prenantes de l’écosystème déploient des efforts concertés. Les entreprises, les investisseurs et les leaders doivent collaborer afin de favoriser un climat propice à l’épanouissement des professionnels 2SLGBTQIA+.
- Combattre les préjugés dans les décisions d’investissement : Les investisseurs doivent prendre conscience de leurs préjugés et veiller à les atténuer. Parmi les pistes de solutions, mentionnons la diversification des équipes d’investissement, la recherche active d’entreprises dirigées par des personnes 2SLGBTQIA+ et l’exécution d’évaluations à l’aveugle qui permettent de juger le potentiel d’affaires en faisant abstraction des idées préconçues à propos des fondateurs.
Mme Rowsell est également d’avis que les investisseurs doivent redéfinir leur compréhension des rendements, au-delà des paramètres exclusivement financiers. « En tant qu’investisseuse, je veux un rendement du capital investi, mais pas seulement ça, précise-t-elle. Il doit aussi y avoir un impact social, par exemple, au niveau écologique, humanitaire ou communautaire. »
- Mettre en évidence les histoires de réussite : Le fait de braquer les projecteurs sur les leaders et entrepreneurs 2SLGBTQIA+ qui connaissent du succès peut être une source d’inspiration et une preuve de la force de la diversité. Ces modèles peuvent être mis en valeur dans les médias, lors de remises de prix ou dans le cadre de prises de parole.
Testaouni s’empresse toutefois de souligner que la diffusion d’histoires positives ne devrait pas éclipser la collecte de données globales sur l’expérience des personnes queers dans l’univers techno. À l’heure actuelle, il manque cruellement de recherches à cet égard. Il est donc indispensable d’analyser systématiquement cette information afin de mieux comprendre les problèmes auxquels les professionnels 2SLGBTQIA+ sont confrontés et y remédier. « Un grand nombre de données sur le milieu de la technologie ne tiennent pas compte de notre communauté, ajoute-t-il. Et en l’absence de données, il n’y a que des histoires. »
- Encourager une culture axée sur l’inclusion au travail : Les entreprises technologiques doivent prioriser l’établissement de milieux de travail sûrs et accueillants pour le personnel 2SLGBTQIA+. Pour cela, il faut notamment instaurer des politiques globales de lutte contre la discrimination, offrir de la formation en matière de diversité et mettre en place des groupes-ressources d’employés. De plus, une équipe de direction visiblement engagée à soutenir l’inclusion peut inciter davantage d’employés à dévoiler ouvertement leur identité.
Pour Mme Rowsell, l’adhésion des cadres dirigeants est primordiale. Elle ajoute que la plus grosse erreur qu’elle voit est toujours l’omission de créer un environnement d’apprentissage pour la diversité et l’inclusion. « Je conseille souvent des leaders en ce qui concerne l’intelligence émotionnelle, la vulnérabilité et la bienveillance dans le milieu qu’ils veulent créer, déclare-t-elle. Puis, dans une optique de croissance personnelle, je les invite à nommer et à décrire les anciennes habitudes qu’ils cherchent à corriger. »Elle suggère, par exemple, d’éviter les génériques masculins lorsqu’on s’adresse à un groupe et de ne pas faire de suppositions sur la vie personnelle des autres, comme présumer une union avec une personne du sexe opposé. « Le simple fait de réfléchir avant de parler peut avoir une incidence considérable », dit-elle.
« Plus nous nous efforcerons de favoriser la diversité des points de vue au travail et des types d’entreprises dans lesquelles nous investissons, plus rapidement nous récolterons les fruits dans notre secteur, notre monde, nos collectivités et notre économie. »
Mme Rowsell ajoute que par-dessus tout, une culture véritablement inclusive en est une qui valorise la diversité des idées. « Dans les groupes homogènes aux opinions et aux expériences similaires, on risque de voir apparaître une chambre d’écho, où l’innovation est mise de côté, stipule-t-elle. Plus nous nous efforcerons de favoriser la diversité des points de vue au travail et des types d’entreprises dans lesquelles nous investissons, plus rapidement nous récolterons les fruits dans notre secteur, notre monde, nos collectivités et notre économie. »
- Promouvoir le leadership 2SLGBTQIA+: Pour briser le cycle de la sous-représentation, les organisations doivent soutenir activement les professionnels 2SLGBTQIA+ dans leur cheminement de carrière. Cela peut se faire par l’intermédiaire de programmes de mentorat, de formation en leadership et de l’inclusion des voix 2SLGBTQIA+ dans les processus décisionnels. « Nous devons faire en sorte que tout le monde puisse s’épanouir dans le secteur technologique », avance M. Testaouni.
- Bâtir des réseaux inclusifs : Les réseaux et les incubateurs sectoriels doivent viser l’inclusion, offrir des programmes spécifiques et soutenir les entrepreneurs 2SLGBTQIA+. La création d’espaces où les personnes queers ayant fondé une entreprise peuvent tisser des liens, échanger et accéder à des ressources renforcera leur capacité à réussir.
Thompson nous prévient qu’il s’agira d’un projet à long terme, qui évoluera continuellement en fonction des changements socioéconomiques et des besoins de la communauté. « Être un allié ne signifie pas seulement qu’on appuie l’égalité au sens large, clarifie-t-il. Cela veut aussi dire qu’on se tient au courant de la situation actuelle des groupes sous-représentés, vulnérables et marginalisés. »
C’est peut-être là le point le plus important. Les trois leaders soutiennent que pour réellement changer la donne pour les professionnels 2SLGBTQIA+ de la technologie, il faut leur offrir plus qu’une aide passive ou des gestes symboliques. Les parties prenantes doivent plaider activement en faveur de l’inclusion et de l’égalité.
« Êtes-vous prêts à prendre la parole publiquement et à faire le nécessaire pour améliorer les choses ? demande Mme Rowsell. En ce qui me concerne, c’est aussi simple que cela. »
Testaouni pense quant à lui que pour être un allié, il faut prendre des mesures concrètes pour créer un environnement plus inclusif et mettre en évidence le soutien aux personnes 2SLGBTQIA+ dans les pratiques organisationnelles et les actions quotidiennes. « Après tout, nous sommes queers 12 mois par années », conclut-il.
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